mardi, octobre 17, 2006
Nationalisme québécois, masochisme français?
Pour ne pas généraliser, posons le cadre du débat. Prenez 3 ou 4 étudiants québécois en Science Politique, le même nombre d'étudiants français dans la même discipline. Mettez les autour d'une (plusieurs) bières ou d'un plat de pâtes, sur un balcon (importance du facteur température!) ou dans une cuisine communautaire. Laissez les discuter... Ils en arriveront sûrement à s'interroger: pourquoi les Québécois de l'échantillon sont-ils fiers d'être québécois, alors que les Français "sont beaucoup plus durs avec eux-mêmes"? Autrement dit, pourquoi, à l'heure de la mondialisation des idées et des comportements, des jeunes aux parcours relativement comparables en arrivent à des attitudes aussi contraires vis à vis de leur nation?
Réponse personnelle, et manière de botter en touche: jouer sur les mots. On peut être fier d'un truc qu'on a fait, d'un évènement organisé, d'un boulot fini, d'un bon match ou autre. Mais comment être fier de quelque chose qu'on a pas fait? Comment être fier des pages glorieuses de la France, alors qu'on aurait peut-être été tortionnaire en 1957, collabo en 1942, anti-dreyfusard en 1898? Un peu facile...
Un mot-clé pour les Québécois: homogénéité. C'est vrai qu'ici, les gens sont majoritairement catholiques, francophones et plutôt blanchouilles. Et ça fait un bout de temps que ça dure. Du coup, ça permet une identité forte, qui traverse les générations et forme un "tout" intemporel dont peuvent se réclamer les jeunes. Mais moi, je m'en fous, de vivre qu'avec des gens comme moi, au contraire, le projet de mélanger tout le monde, d'égalité, de droit du sol, tout ça, ça me plaît!
Alors...? L'Union Européenne, qui fait que nous travaillons à dissoudre notre identité nationale dans une supra-identité, alors que les Québécois connaissent le mouvement inverse de lutte nationale contre l'envahisseur canadien (phrase historiquement inexacte, mais politiquement acceptable, non?)? Peut-être... La place du drapeau au Québec rappelle celle qu'il occupe en Palestine: la lutte contre un adversaire extérieur oblige à se doter de symboles forts. Quel étudiant en France accrocherait un drapeau français dans sa chambre? Hum, pas fréquentable... Pourtant ici, les fleurs de lys sont partout...
On peut chercher à affiner. On l'a fait: s'il y a une chose dont nous sommes fiers, c'est du "système français". Le système social, éducatif, de santé, tout ça, vous voyez. La belle affaire. Un système qu'on nous dit périmé, inadapté, dégénéré (je ne vous fait pas l'affront d'aller chercher les citations de Sarkozy, entre autres), et c'est à ça que l'on raccroche notre fierté?
Le Québec se présente comme une Nation jeune et en devenir, avec un projet fédérateur - l'indépendance - qui n'a par essence aucune chance de se réaliser sans les nouvelles générations. A l'opposé, la destruction systématique mais néanmoins graduelle des valeurs sur lesquelles s'est construite la France, qui portent pourtant en elles un potentiel fédérateur fort, alors que les valeurs européennes peinent à se structurer et à se faire connaître, enlève toute prise à une quelconque fierté. Pas de modèle, pas de fierté.
Et comme on va pas refaire l'histoire à l'envers et se recréer un modèle français, faut se dépêcher de se créer un modèle européen. Et il faudrait le faire connaître, ce modèle, à tous, pour qu'on puisse se référer, dire, tiens, ça c'est cool, ça me plaît, j'adhère, c'est mon projet aussi. Ne pas être fier d'un pays, mais d'un projet. Ne pas être fier de frontières, mais de valeurs. Ne pas être fier de son sang, mais de politiques. Une sorte de "patriotisme constitutionnel", comme disait Habermas.
En somme, un an et demi plus tard, j'ai compris pourquoi il était urgent de se doter d'une Constitution Européenne véritable, sans Partie III, dont on puisse être fiers. Merci les Québécois.
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4 commentaires:
Bon, je t'ai mis dans mes favoris malgré le gros paragraphe sur le patriotisme constitutionnel ;-)
++
François
Yo mon Roro (je suis sûr que tu adores qu'on t'appelle Roro !)
Ca commence bien ton truc-bloug-bidule là...
Mais ça m'étonne tout de même que tu dises qu'avant très récemment tu ne voyais pas l'utilité d'une constitution européenne... Les gens de gauche qui ont voté non, d'habitude, c'était pour avoir une autre constitution, un autre type de projet européen, plaçant des valeurs et non le marché en avant... (bon, en tous les cas, moi, gens de gauche, c'est pour ça que j'ai voté non, à cause de la partie III et du dernier article de la partie II qui l'annulait de facto)
Et ceux qu'ont voté oui, ben... aussi je crois bien. Il n'y avait que l'extrême droite (et consorts) pour être contre une constitution, je croyais ?
Alors t'étais pour quoi au moment du vote, toi ?
Mazette ! Jte souhaite ben du courêge pour l'hiver, ça va douiller !
@François: je reconnais bien là ton ouverture d'esprit... ;-)
@Ben: disons qu'à l'époque, j'étais plustôt pour, mais plus pour des points des précis, insitutionnels ou concernant la Charte des Droits fondamentaux. Rien de grandiose, mon adhésion était le fruit d'un mesquin arbitrage avantages/inconvénients. Ce n'était pas non plus un sujet sur lequel j'avais assez réfléchi. ALors voilà, j'y suis venu tard, mais sincèrement!
Salut Romain,
merci pour le partage des impressions et reflexions québecoises; ravie de découvrir ton blog.
Et c'est assez drôle parce que je le découvre et, partant, je lis cette reflexion sur l'identité comparée F/Q au moment même où je rentre d'une conférence-débat tenue à l'IEP (décidément, on n'en sort pas...) autour du regard, si possible croisé, porté sur la France depuis le Québec, et inversement à l'occase. Les deux invités étaient un professeur à l'ENAP de Montréal, Christian Dufour et un ancien professeur invité dans cette même école et rentré en France (va savoir pourquoi), Alain Juppé...
Tournant autour du dernier livre de Christian Dufour, Le défi français, les échanges ont eu lieu sur plusieurs thèmes, dont certains croisent tes reflexions, en particulier sur l'identité et la perception de l'identité nationale, sur l'Europe et sa vocation, et sur les valeurs portées par la France et plus globalement par le monde francophone.
Pour faire concis, je livre seulement ici les reflexions de Christian Dufour sur l'Europe. Il exprime une certaine admiration pour la construction européenne mais plaide pour que l'Europe ne s'essaie pas au fédéralisme, les etats-nations ayant chacun une forte identité. Elle doit proposer une évolution pragmatique et réaliste et plutôt que de chercher à copier des modèles déjà existants, développer une vision et un "modèle" propre et singulier.
D'après lui, l'Europe ne doit pas viser à l'établissement d'une constitution, càd d'un texte clair, cohérent qui la définirait entièrement. Il préfère souligner la souplesse que représente la possibilité "d'une évolution par la bande".
Je précise que ces reflexions ne sont que des transcriptions de ce qui s'est dit ce soir, en aucun cas une profession de foi traduisant ma conception de l'Europe.
Je coupe parce que c'est déjà un peu long.
Précisions, prises de position ou élucubrations sur demande au service après-écriture.
Salutations électroniques.
Constance
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