Lobbying, lobbying... Je vous sens déjà frissonner... Lobby des armes, lobby agricole, lobby pétrolier, lobby automobile... Brrrr... Que du beau monde...
Bon. Et si on essayait de dédramatiser?
On ne peut parler de lobbying sans parler de groupes. N'importe quel groupe : le club de tarot de votre grand-mère, Total, Greenpeace, les intermittents du spectacle, l'Olympique Lyonnais, l'Association des Maires de France... Tous ces groupes ont des intérêts à défendre : le Club de tarot veut avoir la salle de la Mairie plus souvent que le Club des Aînés Ruraux (si c'est pas du vécu, ça...),
Total ne veut pas que son contrat avec l'Iran soit rendu caduque par un embargo, Greenpeace veut sortir du nucléaire, les intermittents du spectacle veulent une meilleure assurance-chômage, l'OL veut être introduit en Bourse, l'AMF souhaite que les transferts de compétences vers les municipalités soient accompagnées des transferts fiscaux correspondant, etc.
Jusqu'à nouvel ordre, c'est le "monde politique" qui a le pouvoir d'accéder à la plupart des souhaits des autres acteurs de la société. Dans "monde politique", on peut mettre les élus du peuple, les fonctionnaires (qui vont préparer puis mettre en oeuvre une Loi, par exemple), les juges...que nous désignerons par le terme générique de "titulaire de charge publique" (TCP).
Du coup, les groupes vont tenter de faire valoir leurs intérêts auprès des TCP adéquats (le Club de tarot n'ira pas errer à Bruxelles pour obtenir la salle des fêtes le 4 décembre). Cette tentative d'influencer les décisions des TCP est choquante dans le cadre de la démocratie rousseauiste, où l'intérêt général n'est pas la somme des intérêts particuliers, ou de la "démocratie d'équilibre" (MacPherson) dans laquelle on élit des représentants tous les 4 ou 5 ans, et c'est bien suffisant.
Par contre, parlons démocratie participative. Qu'est ce que lq démocratie participative? C'est celle où le citoyen participe à l'élaboration des politiques publiques. Très bien. D'où acte : Juppé a instauré les Conseils de quartiers à Bordeaux. Sauf qu'un "citoyen tout seul" ne va disposer ni du temps ni des compétences pour bâtir une position argumentée sur un sujet général. Du coup, à Bordeaux, aux Conseils de quartier, on parle crottes de chien (spécial dédicace au seul que je connaisse qui soit allé plusieurs fois dans ces conseils). Les citoyens ont intérêt à se regrouper et à partager leurs compétences pour être plus forts face aux fonctionnaires de la Mairie qui, eux, connaissent les dossiers puisque c'est leur travail. Du coup, si on veut une vraie démocratie participative (ce qui n'est évidemment pas le cas à Bordeaux), on a intérêt à encourager la formation de groupes organisés qui vont défendre leur point de vue.
Ce qui est vrai à l'echelle de Bordeaux l'est aussi à tous les autres niveaux. La démocratie se conçoit aussi comme un jeu entre des groupes d'intérêts rivaux arbitré par les TCP.
Alors, où est le problème? En fait il y a deux reserves à cette conception du "paradis pluraliste" (Truman) : il faut préciser qui peut participer au match et à quelles conditions, et il faut fixer des règles du jeu. C'est là que ça devient intéressant.
Vous n'êtes pas dupes. Ma démonstration ne vous a pas convaincus, vous vous dites que c'est bien joli, mais le lobby agricole français (FNSEA) gagnera toujours contre les paysans sud-américains. Que les constructeurs automobiles gagneront toujours sur les écolos. Pourquoi vous vous dites ça? Parce que vous considérez que les constructeurs automobiles sont prêts à mobiliser plus de moyens et d'énergies ("ils ont des sous et des contacts") que les écolos, qui militent au sein d'assos sans moyen, et avec un réseau modeste (je renvoie les politologues au paradoxe d'Olson : incitations selectives plus fortes dans le cas d'un groupe restreint et avec des avantages matériels distinctifs à la clé que dans un groupe plus étendu avec seulement des avantages symboliques). Vous avez raison. Enjeu N°1: garantir à tous une place sur le terrain.
Autrement dit : que tous les groupes aient l'opportunité de se faire entendre des TCP. Je vous ferais remarquer tout de même que des ONG comme Greenpeace ou Oxfam réussisent plutôt à se faire entendre. Mais il reste beaucoup de travail, je vous l'accorde. Comment faire...? (suspens insoutenable, non?)
Ca passe par l'imposition de règles du jeu identiques pour tous. Concrètement, l'influence des TCP peut se faire de plusieurs manières : prendre contact directement avec un TCP, mobiliser l'opinion publique pour influencer indirectement les TCP, organiser une coalition avec d'autres groupes partageant les mêmes intérêts, financer les campagnes électorales (aux USA) ou offrir des cadeaux ou services au TCP (P.Robert). Les organisations citoyennes, ou civiques, ou "à vocation sociale" selon la terminologie d'une camarade ont des avantages dans certains cas (opinion publique, coalitions) et des désavantages dans d'autres (financement campagnes électorales, cadeaux). L'idéal démocratique impose une recherche minimum d'égalité: il faut encadrer les pratiques de lobbying pour que la victoire que remportera Greenpeace en présentant un mémoire béton devant une commission thématique du Parlement Européen ne soit pas annulée par un coup de fil bien placé de Monsanto (dossier OGM) ou par des "séminaires" organisés par EDF aux Seychelles pour les députés (exemples fictifs).
Or encadrer les pratiques de lobbying impose de reconnaître une légitimité au lobbying. Ce n'est pas le cas en France, et on est timide à Bruxelles sur cette reconnaissance (pourtant, Bruxelles est la deuxième capitale mondiale du lobbying après Washington, avec 15 à 20 000 lobbyistes). Du coup, pas de législation. Du coup, "porte ouverte à toutes les fenêtres".
Vous avez peut-être entendu parler du scandale Abramoff aux Etats Unis. Ca vous fait dire que le lobbying c'est mal? Ca me fait écrire que si le lobbying avait pas été reconnu aux Etats Unis, il n'y aurait pas eu de Loi sur le sujet comme c'est le cas. Du coup, Abramoff aurait pas été obligé de publier ses comptes. Du coup personne n'aurait rien vu...et il n'y aurait pas eu de scandale. Du feu, mais pas de fumée.
Conclusion : il est légitime que le Club de tarot fasse du lobbying sur le Maire pour avoir la salle. Mais si il n'existe pas de cadre juridique pour ce lobbying, il est possible que le Club des Aînés, aux ressources plus grandes grâce à la vente de gateaux au chocolat, offre au Maire une part de gateau décisive... Au contraire, si les deux Clubs sont conviés à présenter publiquement des dossiers à une Commission d'attribution de la salle présidée par le Maire, le dossier le plus convaincant l'emportera. Un petit exemple frappant : le recul du lobby cigarettier face aux lobbies de patients, de médecins, etc.
Voilà.
Le débat est ouvert, je n'ai pas abordé l'aspect communicationnel du lobbying pour privilégier l'aspect plus politique.