jeudi, octobre 26, 2006

Qu'est ce que le lobbying?

Lobbying, lobbying... Je vous sens déjà frissonner... Lobby des armes, lobby agricole, lobby pétrolier, lobby automobile... Brrrr... Que du beau monde...

Bon. Et si on essayait de dédramatiser?

On ne peut parler de lobbying sans parler de groupes. N'importe quel groupe : le club de tarot de votre grand-mère, Total, Greenpeace, les intermittents du spectacle, l'Olympique Lyonnais, l'Association des Maires de France... Tous ces groupes ont des intérêts à défendre : le Club de tarot veut avoir la salle de la Mairie plus souvent que le Club des Aînés Ruraux (si c'est pas du vécu, ça...), Total ne veut pas que son contrat avec l'Iran soit rendu caduque par un embargo, Greenpeace veut sortir du nucléaire, les intermittents du spectacle veulent une meilleure assurance-chômage, l'OL veut être introduit en Bourse, l'AMF souhaite que les transferts de compétences vers les municipalités soient accompagnées des transferts fiscaux correspondant, etc.

Jusqu'à nouvel ordre, c'est le "monde politique" qui a le pouvoir d'accéder à la plupart des souhaits des autres acteurs de la société. Dans "monde politique", on peut mettre les élus du peuple, les fonctionnaires (qui vont préparer puis mettre en oeuvre une Loi, par exemple), les juges...que nous désignerons par le terme générique de "titulaire de charge publique" (TCP).
Du coup, les groupes vont tenter de faire valoir leurs intérêts auprès des TCP adéquats (le Club de tarot n'ira pas errer à Bruxelles pour obtenir la salle des fêtes le 4 décembre). Cette tentative d'influencer les décisions des TCP est choquante dans le cadre de la démocratie rousseauiste, où l'intérêt général n'est pas la somme des intérêts particuliers, ou de la "démocratie d'équilibre" (MacPherson) dans laquelle on élit des représentants tous les 4 ou 5 ans, et c'est bien suffisant.

Par contre, parlons démocratie participative. Qu'est ce que lq démocratie participative? C'est celle où le citoyen participe à l'élaboration des politiques publiques. Très bien. D'où acte : Juppé a instauré les Conseils de quartiers à Bordeaux. Sauf qu'un "citoyen tout seul" ne va disposer ni du temps ni des compétences pour bâtir une position argumentée sur un sujet général. Du coup, à Bordeaux, aux Conseils de quartier, on parle crottes de chien (spécial dédicace au seul que je connaisse qui soit allé plusieurs fois dans ces conseils). Les citoyens ont intérêt à se regrouper et à partager leurs compétences pour être plus forts face aux fonctionnaires de la Mairie qui, eux, connaissent les dossiers puisque c'est leur travail. Du coup, si on veut une vraie démocratie participative (ce qui n'est évidemment pas le cas à Bordeaux), on a intérêt à encourager la formation de groupes organisés qui vont défendre leur point de vue.

Ce qui est vrai à l'echelle de Bordeaux l'est aussi à tous les autres niveaux. La démocratie se conçoit aussi comme un jeu entre des groupes d'intérêts rivaux arbitré par les TCP.
Alors, où est le problème? En fait il y a deux reserves à cette conception du "paradis pluraliste" (Truman) : il faut préciser qui peut participer au match et à quelles conditions, et il faut fixer des règles du jeu. C'est là que ça devient intéressant.

Vous n'êtes pas dupes. Ma démonstration ne vous a pas convaincus, vous vous dites que c'est bien joli, mais le lobby agricole français (FNSEA) gagnera toujours contre les paysans sud-américains. Que les constructeurs automobiles gagneront toujours sur les écolos. Pourquoi vous vous dites ça? Parce que vous considérez que les constructeurs automobiles sont prêts à mobiliser plus de moyens et d'énergies ("ils ont des sous et des contacts") que les écolos, qui militent au sein d'assos sans moyen, et avec un réseau modeste (je renvoie les politologues au paradoxe d'Olson : incitations selectives plus fortes dans le cas d'un groupe restreint et avec des avantages matériels distinctifs à la clé que dans un groupe plus étendu avec seulement des avantages symboliques). Vous avez raison. Enjeu N°1: garantir à tous une place sur le terrain. Autrement dit : que tous les groupes aient l'opportunité de se faire entendre des TCP. Je vous ferais remarquer tout de même que des ONG comme Greenpeace ou Oxfam réussisent plutôt à se faire entendre. Mais il reste beaucoup de travail, je vous l'accorde. Comment faire...? (suspens insoutenable, non?)

Ca passe par l'imposition de règles du jeu identiques pour tous. Concrètement, l'influence des TCP peut se faire de plusieurs manières : prendre contact directement avec un TCP, mobiliser l'opinion publique pour influencer indirectement les TCP, organiser une coalition avec d'autres groupes partageant les mêmes intérêts, financer les campagnes électorales (aux USA) ou offrir des cadeaux ou services au TCP (P.Robert). Les organisations citoyennes, ou civiques, ou "à vocation sociale" selon la terminologie d'une camarade ont des avantages dans certains cas (opinion publique, coalitions) et des désavantages dans d'autres (financement campagnes électorales, cadeaux). L'idéal démocratique impose une recherche minimum d'égalité: il faut encadrer les pratiques de lobbying pour que la victoire que remportera Greenpeace en présentant un mémoire béton devant une commission thématique du Parlement Européen ne soit pas annulée par un coup de fil bien placé de Monsanto (dossier OGM) ou par des "séminaires" organisés par EDF aux Seychelles pour les députés (exemples fictifs).

Or encadrer les pratiques de lobbying impose de reconnaître une légitimité au lobbying. Ce n'est pas le cas en France, et on est timide à Bruxelles sur cette reconnaissance (pourtant, Bruxelles est la deuxième capitale mondiale du lobbying après Washington, avec 15 à 20 000 lobbyistes). Du coup, pas de législation. Du coup, "porte ouverte à toutes les fenêtres".

Vous avez peut-être entendu parler du scandale Abramoff aux Etats Unis. Ca vous fait dire que le lobbying c'est mal? Ca me fait écrire que si le lobbying avait pas été reconnu aux Etats Unis, il n'y aurait pas eu de Loi sur le sujet comme c'est le cas. Du coup, Abramoff aurait pas été obligé de publier ses comptes. Du coup personne n'aurait rien vu...et il n'y aurait pas eu de scandale. Du feu, mais pas de fumée.

Conclusion : il est légitime que le Club de tarot fasse du lobbying sur le Maire pour avoir la salle. Mais si il n'existe pas de cadre juridique pour ce lobbying, il est possible que le Club des Aînés, aux ressources plus grandes grâce à la vente de gateaux au chocolat, offre au Maire une part de gateau décisive... Au contraire, si les deux Clubs sont conviés à présenter publiquement des dossiers à une Commission d'attribution de la salle présidée par le Maire, le dossier le plus convaincant l'emportera. Un petit exemple frappant : le recul du lobby cigarettier face aux lobbies de patients, de médecins, etc.

Voilà.

Le débat est ouvert, je n'ai pas abordé l'aspect communicationnel du lobbying pour privilégier l'aspect plus politique.

Je ne resiste pas : quelques lobbies auxquels vous n'auriez peut-être pas pensé: le lobby européen des femmes, la campagne internationale pour l'interdiction des mines antipersonnel, la méthode Greenpeace, le Syndicat des Energies Renouvelables...



4 commentaires:

Anonyme a dit…

Yo,

Intéressant. Mais de mon point de vue , ce n'est pas ça qu'on reproche aux lobby, dans l'imaginaire collectif (que tu décris en début de message).
Il ne me semble pas que le problème soit un manque de reconnaissance (i.e. de cadre juridique) des lobbys : des cadres existent déjà, officiellement, pour faire du lobbying au sens "démocratie participative" et "concertation" : La mairie de Trifouilly-les-oies organise une réunion officielle d'attribution de la salle des fêtes près du moulin, le parlement européen organise des séance d'informations pour les députés, etc... Ces structures existent et sont reconnues, dès maintenant.
Aux EU, le financement des campagnes est également reconnu, si je ne m'abuse.
En Europe, on s'arrête là en revanche.

Le problème est que certains lobbys ne s'arrêtent pas là, ils ne respectent pas la règle.
Alors oui, quand les dossiers sont bétonnés et que l'opinion publique leur est vraiment très favorable, les "gentils" l'emportent car les députés (par exemple), même si "les méchants" leur offrent un séminaire bidon aux Seychelles (exemple pas si bidon que ça : je connais des médecins qui ont été invités par des groupes pharmaceutiques dans des îles paradisiaques).

Mais globalement, les "gentils" respectent les règles du lobbying, dans cet aspect concertation, et parfois ça suffit à ce qu'ils "gagnent", alors qu'en revanche les "méchants", avec leurs moyens plus importants et, bien entendu, leur absence totale de moralité pour supplanter leur intérêt personnel (il faut bien que je fasse le gauchot un peu), les "méchants" donc vont offrir une part plus grosse de gateau en-dehors de la réunion d'attribution des salles.

Donc, il ne me semble pas qu'"encadrer les pratiques de lobbying impose de reconnaître une légitimité au lobbying", car ceci est déjà fait.
En revanche, encadrer les pratiques du lobbying impose que les élus votent des lois qui pénalisent des groupements de pressions riches qui leur rapportent une part du gateau ou du sable fin.

Concrètement, il me semble que tout lobbying qui procure des avantages matériels à un élu (que ce soit pour sa carrière politique ou sa vie privée) doit être sévèrement interdit. Le lobbying qui procure un avantage en terme d'image de marque (donc pour la carrière politique) peut, lui, être toléré : "si vous faites ça pour nous, sachez que nous vous citerons en remerciements". Pourquoi ? Parce qu'il est totalement transparent et que, intrinsèquement, il ne bénéficiera qu'à du lobbying avec lequel l'opinion publique concernée est en accord (ce qui est, du coup, relativement démocratique).

Bon, je suis pas sûr d'avoir été très clair...

A+
Ben
PS : Je peux signer Ben, ou tu en connais d'autre et je dois continuer à signer Ben Bdx ?
PPS : Et sinon, ça roule ?

Anonyme a dit…

@ Ben

"Concrètement, il me semble que tout lobbying qui procure des avantages matériels à un élu (que ce soit pour sa carrière politique ou sa vie privée) doit être sévèrement interdit."

N'oublions pas une chose. Prenons un exemple.

Je suis un lobbyiste avec beaucoup de fric. Pour l'instant, je n'ai rien fait de mal. Je rencontre un TCP comme dit Romain. Je n'ai rien fait de mal non plus. Je l'invite à aller boire des martinis dans un hotel 5 étoiles en égypte. Je n'ai toujours rien fait de mal car je ne le force pas à accepter. Le type accepte ma proposition. C'est son choix. En aucun cas cette acceptation n'est imputable au lobbyiste. C'est le TCP qui a accepté et qui, aux yeux de l'opinion, est corrompu.

Dans une histoire comme celle-ci, le seul type qui est en faute est le TCP. Son boulot était d'oeuvrer pour l'intérêt général. Il manque à cette obligation contre la perception d'un pot de vin. C'est lui qui est corrompu. Pas le lobbyiste. Pour la simple raison que si il n'y avait pas eu d'acceptation de pot de vin, il n'y aurait pas eu de faute et que cette acceptation est un choix du TCP.

A+

Hortense

Anonyme a dit…

Merci pour ce post tant attendu ! Et convaincant.
Quelques phrases de contribution au débat.

En réponse à hortense, le TCP qui accepte la proposition et accepte de laisser influer sur sa décision du seul fait de gains (matériels, sociaux ou symboliques) assurés par un individu ou un groupe est indéniablement moralement en tort. Moralement car il contrevient à des normes sociales et culturelles. (je glisse d’ailleurs ici qu’il ne faut pas oublier que ces réflexions ressortent quelque part d’un certain contexte culturel = on ne peut pas tout comprendre avec cette grille d’analyse). En revanche, d’un point de vue éthique, le « proposant », qui dispense ses bienfaits dans le but, assumé, de déterminer le choix et/ou la pensée du TCP visé, n’est pas blanc comme l’agneau bêlant… De plus, il agit ainsi non pour alimenter un débat ouvert, mais pour tenter, par un biais contestable, d’imposer son choix. Et là je rejoins ben : concertation et transparence sont les mamelles d’une représentation démocratique des intérêts. (Même si les deux termes sont ultra galvaudés…)

De manière plus générale, sur le pluralisme et la « démocratie participative » (malmenée ces derniers temps…).
Préambule :
Le problème de la démocratie rousseauiste, je ne pense pas que ce soit « l’intérêt général est différent de la somme des intérêts particuliers ». Parce que ça, j’y crois encore. Le problème réside plus dans le fait que le système rousseauiste ne peut pas penser l’émergence de l’intérêt général, en fait, sa construction. Il y a chez Rousseau une sorte de « main invisible » : pour faire court, tu mets le peuple ensemble (i.e. les individus ou les particuliers) et là, paf, y a de l’intérêt général qui sort, tout seul. (D’où la non pensée du pluralisme.)
Postulat : L’intérêt général est en effet différent de - et supérieur à - la somme des intérêts particuliers, mais il est un construit (du moins il devrait l’être).

Partant de là et en 3 points :
1- Le pluralisme, c reconnaître la pluralité des expériences, des compétences et des idées, et le droit à les exprimer et à être écouté, tous et de manière (presque) égale. La volonté d’un pluralisme assumé, c'est-à-dire à la fois réel et opératoire, passe certainement par la reconnaissance des différents groupes représentant des intérêts divers, groupes qui se prononcent à l’occasion des débats initiés en vue d’une décision politique particulière ou groupes qui jouent un rôle dans l’ouverture de débat sur des questions non encore saisies par les « TCP ». Reconnaissance qui doit induire une « régulation ».

2- Cependant, le pluralisme, ce n’est pas reconnaître la juxtaposition et l’égale valeur des intérêts ainsi exprimés, mais établir la possibilité de construire et d’élaborer l’intérêt général sur la base des connaissances, opinions, intérêts et idées dégagés. Construire et donc nécessairement co-construire. (je pourrais presque faire de la politique…)

3- Et là, au détour du chemin, on croise la démocratie participative. Comme très justement souligné, romain, la démocratie participative c offrir la possibilité à tous et à chacun de participer à l’élaboration des politiques publiques. Et si on parle d’élaboration, et non simplement de choix ou de décision, on retrouve l’idée de construction. Je m’explique : si on dépasse l’ambition de concertation/consultation et qu’on assume l’ambition participative, on ne peut s’en tenir à l’expression d’un panel d’intérêts (plus ou moins particuliers selon les cas et les groupes), à charge ensuite de procéder à un arbitrage. Il s’agit plus, au final, de défendre la possibilité de penser à plusieurs comme supérieure, ou plutôt complémentaire, au fait de s’exprimer chacun (ou chaque groupe). Oui, bon, ça penche un peu vers le délibératif, là…

Epilogue : ces quelques réflexions n’ont pas vocation à décharger le politique de ses responsabilités. Celui-ci a un rôle à jouer dans la définition du débat, du cadre du débat, de ce qui fait l’intérêt général, dans la détermination des priorités politiques, des règles et des principes de la vie sociale et politique (à charge au versant participatif d’infléchir ces priorités, règles et principes, si besoin est et si légitime). Doù la nécessité persistante du versant représentatif de la démocratie.

Problématique en bref : représentation des intérêts certes, mais quid de la construction de l’intérêt ?

Mise en garde et précision : malgré le ton peut être péremptoire de ce commentaire (m’excuse platement), je précise que ce sont des réflexions soumises à débat, et non un argumentaire bouclé… to be continued, quoi.

voilà, désolée pour la longueur…
à bientôt

constance

Rom' a dit…

Il n'existe pas de reconnaissance jurridique du lobbying puisqu'il n'existe pas de définition des pratiques du lobbying et des groupes d'intérêts en France. Le représentant du CRIF qui dine avec Sarkozy est-il en train de faire du lobbying? Les publicités de Leclerc sur le pouvoir d'achat sont-elles du lobbying? Aucune règle commune...

Ni aucune contrainte pour les lobbyistes : au Québec,comme aux Etats Unis, ils sont obligés de s'enregistrer auprès d'une instance spéciale (le registre`étant public) et de déclarer pour qui ils travaillent et avec quels honoraires.

Quand au lobbying qui procure un renforcement de la position de l'élu (vote, financement, ou "remerciements"), c'est plus du patronage, ou clientèlisme. Au contraire, le lobbying est principalement (mais pas uniquement) un échange d'information (expertise du groupe) contre une prise en compte des préférences.

Enfin, je suis d'accord avec Hortense (?) en ce qui concerne la responsabilité des TCP, et à mon avis une reconnaissance du lobbying permettrait aussi de fixer des gardes-fous collectifs.